OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Fab Labs, ou le néo-artisanat http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/ http://owni.fr/2011/05/29/les-fab-labs-ou-le-neo-artisanat/#comments Sun, 29 May 2011 15:43:00 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=65124 Dans Tintin et le lac aux requins, le professeur Tournesol invente un engin révolutionnaire : le photocopieur en trois dimensions. On met un objet d’un côté, un peu de pâte de l’autre et en un tournemain l’original est reproduit à l’identique. Une telle machine existe depuis quelques années sur un principe pas très éloigné de ce qu’avait imaginé Hergé.

On charge un modèle 3D dans la mémoire d’une imprimante qui, point par point, dépose des morceaux de colle, de plastique, de métal ou même de sucre selon les coordonnées spécifiées et recommence à l’étage suivant jusqu’à obtenir, par stratification, un objet en relief.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Mais contrairement à la bande dessinée, aucun Rastapopoulos ne cherche à voler la RepRap (pour « réplication rapide ») parce que ses plans sont disponibles, librement, gratuitement, sous licence libre (GNU Public License), modifiables à volonté. Et que la machine sait même fabriquer ses propres pièces.

À vrai dire, il n’est pas absolument certain pourtant que le photocopieur de Tournesol, ou le synthétiseur de Star Trek ou un quelconque autre objet de science-fiction soit à l’origine des FabLabs. Il faut plutôt aller chercher du côté des obscurs cours d’éducation manuelle et technique où un professeur de collège en blouse bleue enseignait à utiliser la machine à coudre, la scie et la perceuse à des élèves qui n’en voulaient pas, persuadés que le savoir-faire les éloignait du savoir et que l’EMT les menait tout droit à l’enseignement professionnel.

Mais c’est un cours d’EMT deluxe, car il naît dans une grande université américaine, le Massachussetts Institute of Technology. Comme son nom l’indique, c’est la science appliquée qui est enseignée ici, et à un moment ou à un autre, l’étudiant doit réaliser le projet qu’il élabore. En 1998, le physicien Neil Gershenfeld prend donc la responsabilité d’un cours pratique de prototypage malicieusement intitulé « How to make (almost) anything » (Comment fabriquer (presque) n’importe quoi). On trouve dans son atelier de lourdes et coûteuses machines-outils capables de manipuler les gros volumes aussi bien que les atomes.

« Ils fabriquaient des objets pour un marché d’une personne »

Ses étudiants, apprentis ingénieurs mais sans bagage de technicien restent incrédules — « Ils demandaient: “Ça peut être enseigné au MIT ? Ça à l’air trop utile ?” », raconte Gerschenfeld. Mais très vite, il s’approprient le lieu, fabriquent un double des clés et reviennent nuitamment pour fabriquer « (presque) n’importe quoi », conformément à la promesse initiale. Beaucoup de petits objets à vocation plus artistique que technique. Une « scream buddy » [vidéo, en], par exemple, sorte de sac ventral qui étouffe le cri de colère lorsque celui-ci est inopportun, mais sait le libérer plus tard. Un réveil qui ne cesse de sonner que lorsqu’il s’est assuré que le dormeur est réellement réveillé… parce qu’il est capable de remporter un jeu contre lui… « Ils fabriquaient des objets pour un marché d’une personne », explique Gershenfeld.

Mais plutôt que de considérer ces réalisations comme de futiles broutilles, comme des errements potaches, l’universitaire s’aperçoit que ses étudiants ont réinventé l’échelon artisanal, celui qui se satisfait des matières premières locales et remplit des besoins particuliers que ne sait pas combler l’industrie, toute à son désir de s’adresser à une demande de masse, globale et indifférenciée.

En 2002, il ouvre le premier FabLab au MIT, doté d’un projet presque politique. D’abord, pose-t-il, « il s’agit de créer plutôt que de consommer » : la technologie est perçue comme un instrument d’émancipation. « La disparition des outils de notre horizon éducatif est le premier pas sur la voie de l’ignorance totale du monde d’artefacts dans lequel nous vivons, explique Matthew B. Crawford dans Éloge du carburateur (La Découverte). Ce que les gens ordinaires fabriquaient hier, aujourd’hui, ils l’achètent ; et ce qu’ils réparaient eux-mêmes, ils le remplacent intégralement. » Contre l’obsolescence programmé des biens de consommation, le savoir-faire ferait sortir de la dépendance :

Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis…

Mais pourquoi faire soi-même ce que les professionnels fabriquent mieux et probablement pour moins cher ? Gerschenfeld rappelle la fameuse prédiction de Ken Olsen, fondateur de Digital Equipment, en 1977 : « There’s no need for a computer at home. » De la même façon, il n’y a aucune raison de disposer d’une usine à domicile, sauf si cela devient aussi anodin que l’informatique.

Au final, les centres de fabrication seront comme les PC, simplement des technologies dont les gens disposent.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les FabLabs vont au-delà de l’artisanat par leur capacité à exploiter le réseau : les usagers peuvent confronter leurs idées, les partager sur place comme à distance, les adapter à de nouveaux besoins et les améliorer sur le modèle du logiciel libre. Fabien Eychenne, chef de projet à la Fondation Internet nouvelle génération (FING) raconte par exemple qu’il a rencontré des élèves designers, disposant d’outils plus perfectionnés dans leur école, qui se rendaient dans un FabLab parce qu’on n’y était pas qu’entre designers.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Le deuxième atelier a été ouvert en Norvège au-delà du cercle polaire, où les éleveurs de rennes avaient besoin de puces GPS bon marché pour localiser leurs animaux. Ce genre de besoins avec des enjeux très locaux, ne sont couverts ni par l’artisanat parce que trop techniques, ni par l’industrie parce que trop ponctuels et probablement non rentables. Gershenfeld a d’ailleurs obtenu une bourse de la National Science Foundation (NSF) pour organiser un réseau de FabLabs dans les pays du Sud : au Ghana (vidéo, en), pour fabriquer des filtres à eau, en Afghanistan pour reconstituer un réseau de télécommunications après la guerre, en Inde pour des instrument de diagnostics pour les moteurs de tracteurs, etc.

Il ne s’agit pas que d’une industrie du pauvre ou d’un mouvement de contestation du consumérisme. Chaque FabLab créé depuis que le réseau est lancé oriente son projet, lui donne une coloration: l’un plus artistique – le remix, le détournement, le sample appliqué aux arts plastiques –, l’autre plus militant – la base se réapproprie les outils de production –, le troisième axé sur l’innovation ascendante – on abaisse la barrière à l’innovation, de la même façon que le Web a abaissé la barrière à l’expression publique – ou encore écologique – la récupération, le recyclage.

À lire la charte des FabLabs, le business n’est pas absent :

« Des activités commerciales peuvent être incubées dans les Fab Labs, mais elles ne doivent pas faire obstacle à l’accès ouvert. Elles doivent (…) bénéficier à leur tour aux inventeurs, aux labs et aux réseaux qui ont contribué à leur succès. » A côté des open days où ils laissent les machines à la disposition de tous contre la promesse de reverser les innovations et les modèles à la collectivité, certains FabLabs proposent des journées privées, où l’usage des machines est payant, mais qui permet de développer rapidement des prototypes brevetables et de trouver un modèle économique. Ce faisant, c’est le brevet et le copyright qui finance l’innovation ouverte.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A l’occasion de Futur en Seine (du 17 au 26 juin), la FING monte un FabLab temporaire à la Cité des sciences (niveau -1, carrefour numérique) pour familiariser le grand public avec ce néo-artisanat. Pendant les week-ends, les membres de la Fondation proposeront des visites et feront tester la découpe laser. Le mercredi, ils organiseront un FabLab Kids pour les enfants du quartier (avec notamment des expériences de circuits bending, c’est-à-dire le détournement des circuits électroniques des jouets pour leur faire faire autre chose que ce pourquoi ils sont prévus. Ils accueilleront des « makers » résidents appelés à réaliser en public les projets qu’ils ont déposés pour le Unlimited Design Contest et mèneront des actions de sensibilisation pour les industriels et les pouvoirs publics.

À lire : Makers : Faire société et Makers : Refabriquer la société
À voir : la conférence TED de Neil Gershenfeld

Merci à Véronique Routin et Fabien Eychenne, pour leurs renseignements.

Billet initialement publié sur Le bac à sable de Vincent Truffy, sous le titre « Fabulous Fab(Labs) »

Image de RepRap Flickr CC Paternité illustir

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G8 du Net: les bonnes questions de Nova Spivack http://owni.fr/2011/04/25/g8-du-net-les-bonnes-questions-de-nova-spivack/ http://owni.fr/2011/04/25/g8-du-net-les-bonnes-questions-de-nova-spivack/#comments Mon, 25 Apr 2011 16:20:22 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=59007 Nova Spivack, l’un des nombreux penseurs du Net, a reçu une lettre signée Nicolas Sarkozy. Le président français le prie de participer au «eG8», une réunion de deux jours  (24 et 25 mai) dans le jardin des Tuileries pour préparer le sommet des chefs d’État et de gouvernement de Deauville, les jours suivants, consacré à Internet.

Bill Gates, Vinton Cerf, Eric Schmidt (ex-Google), Sheryl Sandberg (Facebook, Mark Zuckerberg ayant refusé), Jeff Bezos (Amazon), Jack Ma (Alibaba), Harmut Ostrowski (Bertelsmann), Jimmy Wales (Wikipedia) ont reçu la même, tout comme les Français Stéphane Richard (Orange), Marc Simoncini (Meetic), Loïc Le Meur (Seesmic) Alexandre Mars (PhoneValley), Xavier Niel (Free) ou encore Jacques-Antoine Granjon (Vente-Privée).

Mais Nova Spivack, lui, a posté sur son blog, «dans un souci de transparence», les documents reçus : l’invitation (il faut «renforcer la contribution d’Internet à la croissance économique»), la note de cadrage («le forum e-G8 abordera la croissance économique, les sujets sociaux comme les droits humains, la protection de la propriété intellectuelle et le respect de la vie privée, ainsi que l’Internet du futur») et l’agenda des deux jours.

Pourquoi cette priorité et pas la croissance verte, le terrorisme, etc. ?

Mieux : tout en indiquant qu’il envisage de participer, il s’ouvre sur les doutes, les questions et les convictions que lui inspire cette initiative.

«Pourquoi le président Sarkozy organise cet événement à ce moment-là, s’interroge Spivack. Y a-t-il un agenda politique ?» Sur la question du moment, la réponse est simple : la France préside le G8 (et le G20) en 2011, elle organise le sommet de Deauville. La question est plutôt : pourquoi donner un écho particulier au Net alors qu’on trouve aussi parmi les priorités françaises pour le G8, la croissance verte, la lutte contre le trafic de drogue, le terrorisme et les armes de destruction massive ou encore un nouveau partenariat avec l’Afrique ?

Faut-il rapprocher l’organisation de ce forum – qui ne devrait être qu’un moment sans lendemain mais une «organisation privée placée sous la présidence de Maurice Lévy, PDG de Public» – de l’installation d’un Conseil national du numérique où sont annoncés plusieurs participants du e-G8 ? Faut-il rappeler que la présidence française du G8 avait promis que «les travaux sur cette question (seraient) nourris par les consultations et contributions de tous les acteurs concernés : les entreprises, les experts français et internationaux (pionniers du secteur, scientifiques, penseurs), la société civile» ?

«Cet événement servira-t-il à rendre les grosses sociétés et les grands gouvernements encore plus gros, ou sera-ce l’occasion de faire entendre la voix des gens, des citoyens du web ?, demande-t-il. Les délégués penseront-ils d’abord à eux-mêmes et à leur entreprise ou tenteront-ils de mettre des sujets plus vastes sur la table ?»

Notant que «le président Sarkozy, comme les autres dirigeants du G8, ont souvent soutenu des politiques qui n’allaient pas dans l’intérêt des internautes – par exemple sur les questions de vie privée, de liberté d’expression, de taxation ou de neutralité des réseaux» et clairement sceptique sur le fait que l’on puisse trancher des questions si complexes en deux jours, Spivack tique :

Cet événement est-il conçu pour rassembler tous les points de vue pour élaborer de nouvelles politiques ou pour apporter son soutien à des politiques qui ont déjà été décidées par les pays du G8 ?

Pourquoi cautionner par sa participation un tel forum ?

Ce qui me préoccupe le plus aujourd’hui, c’est qu’Internet se concentre dans les mains d’un petit nombre et que cette tendance se confirme avec la bénédiction des grosses sociétés et des gouvernements. (…) Si nous ne sommes pas extrêmement vigilants et prompts dans notre effort pour protéger un Internet ouvert des intérêts commerciaux et des gouvernements, je pense que nous finirons par bâtir un Internet qui ressemble plus à une vaste prison qu’à un tremplin pour une amélioration du sort de l’humanité.

Billet initialement publié sur Le bac à sable

Image Flickr AttributionNoncommercial id-iom

Retrouvez tous les articles de notre Une e-G8 sur OWNI (illustration de Une CC Elsa Secco pour OWNI)
Bienvenue à l’e-G8, le Davos du web

De l’Internet des “Pédos-nazis” à l’”Internet civilisé”

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Facebook: parlez des autres, vous vous ferez des amis http://owni.fr/2010/12/29/facebook-parlez-des-autres-vous-vous-ferez-des-amis/ http://owni.fr/2010/12/29/facebook-parlez-des-autres-vous-vous-ferez-des-amis/#comments Wed, 29 Dec 2010 10:35:50 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=40539 Les statisticiens de Facebook ont décortiqué environ un million de «statuts» anglophones pour comprendre comment fonctionne cet étrange rituel qui occupe chaque jour 12% de ses 500 millions d’utilisateur: expliquer à l’ensemble de ses «amis» ce que l’on est en train de faire («what are you doing right now?», l’invite initiale) ou ce que l’on a en tête («What’s on your mind?»).

Ils se sont également demandé s’il existait des relations de cause à effet entre la composition de ces messages et l’entregent affiché.

Les résultats montrent que les personnes les plus populaires:

1. s’adressent individuellement aux autres (ils emploient plus souvent «tu», éventuellement «nous» plutôt que «je»)
2. publient des statuts plus longs
3. parlent souvent de musique, de sexe et d’argent
4. recourent moins souvent à l’émotion
5. mentionnent moins souvent leur famille
6. utilisent moins souvent le passé et le présent

On remarque donc que les messages qui émergent (ceux qui s’adressent au plus large public, plutôt qu’au plus vaste cercle d’amis) tendent à se conformer aux canons de la prise de parole classique dans l’espace public: des messages plus structurés, désinvestis et moins personnels, se projetant vers l’avenir (fût-il proche).

Facebook a aussi fait étudier les statuts qui appellent le commentaire et ceux qui entraînent la recommandation. On constate là un usage complémentaire des deux fonctions: les mots classés positifs provoquent plutôt des «likes» et les négatifs des commentaires. De même, les messages longs et rédigés (notamment l’utilisation de pronoms) appellent de nombreuses interactions quand les statuts plus personnels éteignent la discussion (typiquement: les messages à tonalité religieuse obtiennent des recommandations mais pas de commentaires et ceux qui relatent la qualité du sommeil font fuir les deux).

Il faut toujours rappeler qu’il n’y a là que corrélations (des variables qui évoluent ensemble) et pas de causalité prouvée. On peut également souligner que les statistiques sur Facebook sont produites par Facebook et exploitées par les mêmes. Quel que soit le crédit que l’on puisse accorder à l’indépendance de la «data team», on note que les conclusions vont plutôt dans le sens de l’apaisement, des sentiments positifs, comportements que la société Facebook a intérêt à promouvoir.

Article initialement publié sur Le bac à sable, un blog Mediapart

Illustration CC: Kevin Saff

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Andrew Keen: la visibilité dans les médias sociaux est un piège http://owni.fr/2010/11/29/andrew-keen-la-visibilite-dans-les-medias-sociaux-est-un-piege/ http://owni.fr/2010/11/29/andrew-keen-la-visibilite-dans-les-medias-sociaux-est-un-piege/#comments Mon, 29 Nov 2010 14:43:39 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=37454

On ne rencontre pas tous les jours l’Antéchrist, fût-il modestement celui de la Silicon Valley. Aussi éprouve-t-on quelque déception à ne pas sentir l’haleine soufrée du startupeur défroqué lorsqu’on écoute Andrew Keen développer posément les arguments de son prochain livre, Digital Vertigo, dans l’appartement-témoin high-tech du siège de Microsoft France.

Mon premier livre était une grenade dégoupillée, prévient-il. J’ai essayé de m’aliéner autant de personnes que possible. Dans ce nouveau livre, j’ai essayé d’être plus nuancé. Mais je reste un polémiste.

Le premier livre en question, c’était Le Culte de l’amateur, subtilement sous-titré «comment Internet tue notre culture».

Il y accusait le Web participatif d’ensevelir la vérité sous des tombereaux de médiocrité et d’insignifiance et de menacer l’économie culturelle en postulant la gratuité universelle des contenus. Y dénonçait l’illusion du paradoxe (apocryphe) de Huxley (biologiste surnommé «le bouledogue de Darwin» et grand-père de l’écrivain) selon lequel un nombre infini de singes qui taperaient assez longtemps sur le clavier d’une machine à écrire finirait statistiquement par écrire l’œuvre complète de Shakespeare ou au moins une bonne émission de télévision. Voyait dans la population internaute un ramassis d’«adolescents hypersexués, voleurs d’identités, joueurs compulsifs et accros de tout acabit». Et assimilait le «grand mouvement utopiste» du Web 2.0 à la «société communiste» dans le magazine néocons The Weekly Standard, où l’on devine que ce n’est pas un compliment.

Défendre le secret, l’oubli et l’intimité”

Avec Digital Vertigo: Anxiety, Loneliness and Inequality in the Social Media Age (anxiété, solitude et inégalité au temps des médias sociaux), Keen creuse sa plaie en s’intéressant à Facebook, à Twitter, bien sûr, mais aussi de l’ensemble du Web qui, d’une façon ou d’une autre est devenu «social»: la recherche d’informations, la consommation (Groupon) et même, avec Facebook Messages, celui du courrier que vous devez lire.

On connait la blague d’Al Gore qui aurait inventé Internet. Mais dans un sens, Foucault et Baudrillard ont inventé la culture Internet avant qu’Internet n’existe avec la démocratisation de la culture.

De fait, dans Surveiller et punir, Michel Foucault reprend le modèle du panoptique de Bentham pour conclure «la pleine lumière et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protégeait. La visibilité est un piège.» «Visibility is a trap», répète à l’envi Andrew Keen. C’est encore plus vrai à l’ère du narcissime facilité par les outils sociaux, explique-t-il: «l’orthodoxie du Web parle d’ouverture, de transparence. Je veux défendre le secret, l’oubli et l’intimité.»

Rien de plus antisocial, à l’entendre, que le Web social: «On utilise les médias sociaux en poursuivant des objectifs totalement individualistes», dit-il, en reprenant une phrase du fondateur du «Facebook professionnel» LinkedIn, «votre avenir est déterminé par votre réseau»: on serait passé de la production industrielle à la production personnelle, stade ultime du darwinisme capitaliste dans lequel chacun doit vendre sa «marque» pour survivre.

De nouveaux patrons

Et comme dans Le Capital, il y aurait une accumulation primitive de la notoriété, quelques noms concentrant des millions de «followers» qui quémandent leur part de lumière.

Et les personnes qui s’enrichissent forment une nouvelle élite de l’économie de la connaissance, ceux qui créent les services qui permettent cette expression personnelle.

Dès lors, les nouveaux “patrons” sont «ceux qui contrôlent les moyens d’expression et non plus les moyens de production.»


Le problème, selon Keen, est qu’aux yeux de beaucoup (par exemple Clay Shirky), les médias sociaux sont devenu la solution à tous les problèmes:

Je suis plutôt de gauche politiquement mais je n’arrive pas à croire que les réseaux sociaux puissent lutter contre la pauvreté. Les réseaux sociaux n’apportent aucune solution aux problèmes fondamentaux, de la même façon que l’autopartage ne résoud pas les problèmes de pollution. Les seuls emplois qu’aient créé les médias sociaux sont des boulots de spécialiste des médias sociaux et de consultants.

Crédits photos cc FlickR : sean|mundy, ae-j, Stéfan.

Article initialement publié sur le Bac à sable.


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Les états (inutilement) généreux de la presse écrite http://owni.fr/2010/11/22/les-etats-inutilement-genereux-de-la-presse-ecrite/ http://owni.fr/2010/11/22/les-etats-inutilement-genereux-de-la-presse-ecrite/#comments Mon, 22 Nov 2010 08:51:08 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=36566 Deux ans après les états généraux de la presse écrite, des députés constatent que les éditeurs de journaux se sont, le plus souvent, contentés d’aller à la pêche aux subventions sans remettre en question leur fonctionnement. Le rapport et les avis qu’ils ont examiné dans le cadre de l’élaboration du budget 2011 parle de « fiasco », d’« effet d’aubaine » et parfois de « scandale ».

Le député socialiste Michel Françaix, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles sur le ciblage des aides, accumule ainsi les exemples :

  • « Au titre de l’aide au transport postal, huit magazines de télévision obtiennent 53 millions d’euros, c’est-à-dire plus que toutes les aides à la modernisation de la presse quotidienne, et quatre titres de presse de télévision obtiennent même une aide au transport postal supérieure à toute la presse quotidienne nationale. »
  • « L’aide au portage est passée de 8 millions à 70 millions sans que les ventes aient augmenté d’un seul numéro. »
  • « La presse régionale a reçu 72 % du montant de l’enveloppe sans avoir procédé à aucune mutualisation du portage. »
  • « L’aide à la presse en ligne a été insuffisamment ciblée. L’absence de réflexion préalable s’est traduite par un saupoudrage peu incitatif en termes d’innovation et de diversification. »
  • « En 2010, sur une enveloppe de 20 millions d’euros [d'aide au développement des sites web d'information], seuls 15,5 millions ont été utilisés. Les pure players n’en ont reçu que 6 %. Cette aide a été caractérisée par une certaine opacité, un manque réel de transparence. »
  • « Les 8,5 millions d’euros spécifiquement consacrés aux projets destinés à favoriser le développement de la lecture de la presse par les jeunes n’ont donné lieu à aucune évaluation. Tout laisse à penser que ce fut un effet d’aubaine pour les parents, qui ont choisi le titre qu’ils voulaient, sans que cela augmente la diffusion de la presse à destination des jeunes. »

Le phénomène n’est pas neuf : comme on a déjà eu l’occasion de le montrer ici, lorsque l’État offre de l’argent à la presse pour se « moderniser » celle-ci le consacre très majoritairement – de façon croissante – à rénover ses imprimeries. La fabrication représentaient en 2006 et 2007 quelque 80% des sommes allouées par le fonds de modernisation quand le développement du numérique restait sous le seuil de 1% !

Le rapport de Michel Françaix

Le rapporteur spécial du budget, le député UMP Patrice Martin-Lalande, note que « depuis 2009 et à la suite des états généraux de la presse écrite, (…) les pouvoirs publics ont parfaitement respecté leurs engagements. En revanche, il n’est pas certain que les professionnels du secteur aient profité de cet effort exceptionnel pour mettre en œuvre les réformes fondamentales dictées par les bouleversements économiques, techniques et technologiques auxquels celui-ci doit faire face. (…) Eu égard au soutien public massif dont il bénéficie, le secteur a une obligation de résultats et c’est avant tout aux professionnels qui le composent qu’il revient de prendre leurs responsabilités afin de faire émerger un modèle de long terme. »

Et pour être tout à fait clair, il ajoute qu’« il devient chaque jour plus évident que la mutation numérique est non seulement une nécessité mais une chance pour la presse.»

Le rapport de Patrice Martin-Lalande

Car 2011 est la dernière année budgétaire pour l’aide exceptionnelle (464 millions cette année) décidée lors des états généraux de la presse écrite et, dans un contexte de restriction budgétaire, les éditeurs craignent une disparition de subventions qui, faute de leur avoir permis de changer de modèle, ont payé leur fonctionnement courant. « L’idée de mettre fin à cet excès de sollicitude progresse régulièrement jusqu’à mettre en danger les montants prévus pour l’année 2011 », s’alarme le directeur de Libération, Laurent Joffrin qui prie la profession de « s’appuyer sur [le rapport Cardoso] pour écarter tout risque de remise en cause de l’effort public en sa faveur. »

Comme en écho, Michel Françaix plaide : « L’occasion manquée de états généraux ne doit pas avoir pour effet de supprimer l’aide à la presse, certains en rêvent peut-être du côté de l’Élysée, mais ce serait la pire des  choses. Il convient de la recentrer sur les titres qui en ont le plus besoin, ceux de la presse citoyenne qui  garantissent le pluralisme. Or, ils ne bénéficient que de 30 % de l’aide du contribuable. »

Billet initialement publié sur Le bac à sable sous le titre “Les états généreux de la presse écrite”

Image CC Flickr mudricky

Pour compléter :

Jouez à la notre application Le Juste pris : devinez le montant de la subvention accordée à seize projets par le Fonds d’aide à la modernisation de la presse
“Subventions à la presse: l’heure des fuites ?”
“Subventions à la presse: dix ans sans contrôle strict”
“Le rapport Cardoso en 5 visualisations”

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De l’info et des jeux http://owni.fr/2010/10/27/de-linfo-et-des-jeux/ http://owni.fr/2010/10/27/de-linfo-et-des-jeux/#comments Wed, 27 Oct 2010 13:28:47 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=33630 Le jeu s’appelle 12 septembre. Il se passe dans une ville arabe où se promènent de gentils civils et d’affreux terroristes. Le but est d’éliminer ces derniers sans tuer les premiers. Le joueur dispose pour cela d’un viseur, déplacé à la souris. Quand il clique, un missile part qui explose où se trouvait le viseur. Sauf que le temps que le missile arrive, les terroristes se sont souvent éclipsés et des civils sont entrés dans le champ. Qui pis est, à chaque fois que des civils figurent parmi les dommages collatéraux, les terroristes arrivent plus nombreux.

À partir d’un modèle simpliste (des gentils, des méchants), le joueur comprend vite qu’il ne peut pas gagner et que plus il joue, plus il perd. « C’est très important de perdre, explique Florent Maurin, journaliste à Bayard Kids. C’est même la première chose que le joueur teste quand il aborde un jeu : il va le pousser à ses limites pour comprendre dans quelles conditions il échoue. À partir de ses erreurs, il va élaborer des stratégies pour tomber plus près du but, progressivement. Et s’il n’y parvient pas, il va se demander ce qui l’en empêche. C’est ce qu’explique l’auteur du jeu Food Import Folly publié par le New York Times : “je perds, donc je pense”. »

Killerflu

En expérimentant par lui-même, le joueur comprend en cinq minutes ce que des dizaines de livres et des centaines d’éditoriaux ont tenté de démontrer aux lecteurs sans toujours convaincre. C’est ce que l’on nomme un serious game. Un jeu sérieux.

Dans Newsgames : journalism at play qui paraît en novembre (MIT Press), Ian Bogost, professeur à Georgia Tech, détaille tout le bénéfice que les médias pourraient tirer à ne pas dédaigner le jeu comme façon de raconter le monde. Le jeu, explique-t-il, permet de mieux comprendre l’enchaînement des causes et des conséquences, d’entrer plus simplement dans la complexité d’un mécanisme.

Rien de cela n’est neuf : en 1938, Johan Huizinga assurait dans Homo Ludens que « le jeu est une tâche sérieuse » et permet de toucher l’homme au-delà de son entendement (homo sapiens) et de sa capacité de réalisation (homo faber), dans des ressorts plus intimes, presque réflexes. Les pédagogues évidemment ont, depuis longtemps, intégré la manipulation, le défi, la diversion apparente dans leurs apprentissages. Mais la presse restait jusque-là rétive à cette approche adaptant de vieilles formules à leurs nouveaux supports.

« Si la situation est complexe, le jeu reste une bonne option »

« C’est l’audience qui nous pousse à envisager de nouvelles formes de narration, explique Boris Razon, rédacteur en chef du Monde.fr. Nous nous exprimons dans un espace ouvert, nous ne pouvons plus proposer seulement des formes closes, comme l’article. On ne se demande pas si c’est du journalisme ou pas : quand on propose un jeu, on continue à informer. Mais sous une forme différente. En fait, nous décidons de passer par un type ou un autre de narration en fonction de l’urgence de l’information : s’il faut la donner le plus vite possible, rien ne remplace l’article.

Darfur is dying

Si l’on envisage un parti pris narratif, on ira plutôt vers le webdocumentaire. Si la situation est complexe, le jeu reste une bonne option. »

L’expérience ludique, insiste Bogost, la « rhétorique procédurale », n’est ni reproductible ni réductible à d’autres formes, même si elle les utilise : il y a de la vidéo, du son, des images, des texte ; la vraie différence vient de ce que les « jeux sérieux » ne racontent pas des faits de l’extérieur, mais simulent le mode de fonctionnement du réel en permettant au lecteur/joueur d’interagir. Ce faisant, ils révèlent au joueur une machinerie qui restait jusque-là obscure, permet de synthétiser des informations complexes sans (trop) les simplifier.

Boris Razon : « Le jeu permet d’identifier des mécanismes, d’intégrer un grand nombre de paramètres et offre au public la possibilité de se faire une perception personnelle des situations. On le place dans des situations de simulation. Le plus difficile est de réussir à l’amener à s’abstraire de ce qu’il croit savoir, de ses opinions morales ou politiques pour considérer la situation du point de vue de son personnage, et donc d’expérimenter les perceptions de celui-ci, de se mettre littéralement à sa place. »

Energuy

L’école de journalisme Annenberg (université de Californie du Sud) pousse cette logique du « learning by doing » (apprendre en faisant) à un point extrême en promouvant un « journalisme immersif ». Dans Gone Gitmo par exemple, le joueur se retrouve dans un cachot du camp X-Ray à Guantanamo et expérimente, dans Second Life, les sensations d’un prisonnier placé dans une position de stress et entendant les bruits d’« interrogatoire poussé » à travers un mur.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Boris Razon : « Il faut dire clairement que le jeu n’est pas un témoignage sur la réalité, mais une modélisation de celle-ci. Nous sommes particulièrement vigilants sur les valeurs que l’on colporte malgré nous. »

Florent Maurin : « Il faut se demander à quel moment on est rattrapé par ses propres principe. Un jeu peut conduire à comprendre – et parfois à excuser – la logique du bourreau. JFK Reloaded, par exemple, s’attache à reproduire le plus fidèlement possible les conditions de l’assassinat de Kennedy, dans une perspective documentaire. Mais il amène aussi  le joueur à tester ses propres limites morales : est-il prêt, même par jeu, à tirer sur Kennedy ? Le jeu comporte sa propre rhétorique qui peut être discutable. »

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les codes du genre imposent ainsi d’entrer dans une logique de compétition ou de modéliser, donc de simplifier des personnages, de les réduire à des valeurs chiffrées forcément subjectives.

Operation Pedopriest

Boris Razon : « Le fait de devoir formaliser tout cela nous oblige à nous poser des questions sur de nombreux présupposés de journaliste sur lesquels on ne se posait plus de question. Pour essayer d’objectiver un peu cela, nous avons pris le parti de proposer un blog à côté du jeu pour discuter des choix initiaux et, éventuellement, de les amender afin de coller plus finement à la réalité. »

Florent Maurin : « Pour créer un jeu, il ne faut pas considérer l’information comme un film d’événements qui s’enchaîne. On essaie d’“autopsier” la situation, de classer les situations en catégories. Ça nous oblige à revisiter les codes sociaux. Ce n’est pas du tout une démarche naturelle : il faut remettre en cause les a priori. Mais aussi créer un défi à relever, définir les actions possibles, les règles de fonctionnement, modéliser des personnages pour que le jeu reste jouable et que le joueur puisse y projeter son imaginaire : c’est le lecteur qui va fournir la chair. »

Quelques jeux sérieux (dont beaucoup à des fins publicitaires ou de sensibilisation humanitaire)

Billet initialement publié sur Le bac à sable de Vincent Truffy ; image CC Flickr fdecomite remixée par Marion Bourcharlat

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Le rapport Cardoso en 5 visualisations http://owni.fr/2010/09/17/le-rapport-cardoso-en-5-visualisations/ http://owni.fr/2010/09/17/le-rapport-cardoso-en-5-visualisations/#comments Fri, 17 Sep 2010 16:00:12 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=28470 Le consultant Aldo Cardoso a remis le 8 septembre aux ministres de la communication et du budget un rapport sur le système d’aides publiques à la presse, qu’il qualifie de «système d’assistance respiratoire permanente».

En attendant un compte rendu détaillé (le document est consultable au pied de ce billet), on peut sortir quelques images stupéfiantes de l’étude.

Les aides à la presse ont connu une augmentation significative entre 2008 et 2009, sous l’impulsion des Etats Généraux de la Presse Ecrite notamment. Le montant de ces aides s’est donc stabilisé en 2009 autour de un milliard d’euros par an.

Plus d’un milliard d’euros est consacré chaque année à l’aide de la seule presse écrite. C’est un calcul que nous avions déjà fait ici mais le rapport souligne que les aides directes représentent toujours les deux tiers de cette somme, laissant ainsi les journaux à la merci de la décision d’accorder ou non une subvention ciblée.

Prenant l’exemple de sept titres nationaux anonymisés, le rapport montre que pour certain titres, la rédaction ne représente qu’un cinquième du prix du journal, le reste provenant, pour plus de la moitié des coûts de production et de distribution.

Si ces chiffres sont restés semblables en 2010 (ce qui est probable puisque la structure des investissements n’a pas beaucoup évolué, cf. supra), son coût en termes de subventions est supérieur à son prix de vente ! Il faut également noter que les avantages fiscaux (TVA à taux “super-réduit”) ne sont pas inclus dans ce tableau.

La direction des médias a calculé ce que coûtait, en subvention, chaque exemplaire payé. Les journaux à faible diffusion (La Croix, L’Humanité) reviennent automatiquement plus cher, mais on peut noter que Libération coûte extraordinairement peu au budget public avec 8 centimes par exemplaire. A l’autre bout, France Soir coûte à l’Etat 52 centimes par numéro. Clément, on ne rappellera pas que ce journal est désormais vendu 50 centimes…

Les aides directes en sont venu, au fil du temps, à constituer une part croissante du chiffre d’affaire, en raison notamment d’aides ciblées. Le fonds d’aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires est évidemment particulièrement visé par cette remarque puisqu’il peut constituer un tiers des ressources de certains quotidiens. Et l’ensemble des dispositifs a explosé à partir de 2005 pour représenter plus de 60% du chiffre d’affaire de France Soir, presque la moitié pour Playbac Presse (Le Petit Quotidien, Mon Quotidien, L’Actu…) et un tiers pour le journal d’extrême droite Présent (contre 12% du CA en moyenne).

L’excédent brut d’exploitation par exemplaire, c’est ce que rapporte un journal en publicité, vente et subvention une fois ôté les dépenses de personnel et les impôts de production. Une fois ceci posé, on constate donc que pour les sept quotidiens nationaux étudiés, et notamment pour les plus chers (c’est-à-dire ceux qui comportent un magazine de fin de semaine permettant une augmentation de prix), chaque exemplaire coûte de l’argent au lieu d’en rapporter.

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Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy sur Mediapart. Illustrations de Marion Boucharlat

Nous avons réinterprété certaines données qui nous paraissaient extrêmement pertinentes, que vous pouvez retrouver dans leur intégralité dans un poster haute-définition.

>Retrouvez l’infographie (en haute définition Presse : les grosses étrennes de l’État de Marion Boucharlat

> Retrouvez l’intégralité de notre dossier du jour sur les aide à la presse .
> Consultez tous nos articles sur les subventions à la presse, notamment “Subventions à la presse : l’heure des fuites ?”.

Illustration FlickR CC : mammal

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L’information sur le web doit-elle se fier aux chiffres? http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/ http://owni.fr/2010/09/16/linformation-sur-le-web-doit-elle-se-fier-aux-chiffres/#comments Thu, 16 Sep 2010 06:45:49 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=28281

«Écoutez ce que demandent les gens et donnez-leur ce qu’ils n’ont pas les moyens de demander.» Dans sa leçon inaugurale à Science-Po, Jay Rosen demande explicitement aux étudiants en journalisme d’abandonner leur position de surplomb pour se mettre à l’écoute de leurs lecteurs. Au temps du journalisme papier triomphant, la question ne se posait pas vraiment. Les journalistes n’avaient pas les moyens de savoir de façon chiffrée ce qui était effectivement lu et les panels de lecteurs convoqués occasionnellement renvoyaient opportunément une image que l’on savait fausse mais qui satisfaisait tout le monde : les personnes interrogées assuraient toutes qu’elles aimeraient plus de grandes enquêtes, de grands reportages, de grands entretiens et de longues analyses alors que les chiffres de ventes prouvaient qu’ils se précipitaient vers les titres qui privilégiaient l’anecdote, le fait divers et l’information pratique.

Le web, plus encore que la télévision et la radio, a permis de savoir, presque immédiatement, ce que consultent les lecteurs, le temps qu’ils y consacrent et – en posant quelques hypothèses discutables – la satifaction qu’ils en retirent.

Un article du New York Times raconte, exemples à l’appui, comment les rédactions web des journaux américains utilisent l’abondance de chiffres de fréquentation pour coller aux attentes supposées de leur lectorat. On y apprend ainsi que la journée du site du Wall Street Journal commence par l’épluchage méthodique des statistiques de consultation des articles, l’analyse des mots les plus recherchés dans le moteur interne et le recensement des tendances sur Twitter.

Ou que le Washington Post fait trôner au milieu de sa rédaction un écran montrant, en temps réel, le nombre de visiteurs uniques, le nombre de pages par visiteurs et leur provenance, sans oublier de surimprimer à ces chiffres l’objectif mensuel à atteindre. Un mail circulaire quotidien reprenant 46 indicateurs vient d’ailleurs compléter ce dispositif. La rédaction Web, qui avait prévu une large couverture des élections britanniques a pu ainsi constater que les internautes ne s’y intéressaient que très médiocrement alors qu’ils se passionnaient pour un article sur les sabots Crocs. Mais le rédacteur en chef du site, Raju Narisetti, explique que, plutôt que de décider de cesser de couvrir la campagne électorale britannique pour se transformer en annexe de Vogue, cette indication l’a conduit à s’interroger sur les moyens de rendre la couverture plus attirante, à coups de podcasts, de diaporamas ou d’appels à la participation des lecteurs.

Le Los Angeles Times a adopté une démarche plus radicale puisqu’il a doté son site d’un logiciel indiquant pour chaque article la somme rapporté en clics publicitaires. Du côté du New York Times, au contraire, le directeur de la rédaction assure que «les lecteurs viennent pour nos choix, pas pour le choix de la foule.»

Cette impression est pourtant relativisée par une étude du Tow Center for Digital Journalism (université Columbia) qui montre que la profusion de mesures disponibles entrave le jugement plus qu’il ne l’éclaire : du nombre de pages vues au nombre de visites, des visiteurs uniques au temps passé sur une page, du taux de rebond au taux de sortie, en passant par les sites qui affichent 50.000 signes par page contre ceux qui en publient 500, ceux qui réaffichent la page toutes les 30 secondes, il n’existe pas de «monnaie unique» de la fréquentation sur le web et chacun utilise la mesure qui conforte son opinion. Toutefois, constatent les auteurs, l’existence d’une mesure étalon en télévision et en radio n’a pas conduit à une amélioration des programmes et plutôt mené à une marginalisation de l’information parmi les programmes de divertissement.

«Le problème avec les statistiques sur Internet, c’est que l’on a deux attitudes opposées, explique Jay Rosen : soit les journalistes les ignorent totalement, soit ils en sont esclaves. Aucune de ces deux positions n’est rationnelle pour un journaliste au XXIe siècle. (…) La vraie question est de savoir comment les journalistes peuvent se servir des chiffres pour améliorer le journalisme», ajoute-t-il en posant l’objectif  d’acquérir «suffisamment de compétence avec les statistiques de fréquentation pour trier une curiosité à court-terme et un intérêt public plus profond.» Et cet indicateur, précisent les auteurs de l’étude, ne peut tenir en un chiffre mais demande de combiner les chiffres de consultation, les citations de l’article à l’extérieur du site, les réactions des utilisateurs, pour mieux comprendre la propagation de l’article de loin en loin sur le web, la façon dont l’agenda public s’élabore désormais et comment les informations sur des sujets-clés sont utilisées par des publics donnés.

Publié initialement sur le blog de Vincent Truffy

Lire aussi Prise de pouvoir de l’audience : 10 conseils du prof. Rosen pour en profiter

Image CC Flickr txmx 2 ; grande une Marion Boucharlat pour OWNI /-)

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Pour un webdocu modeste http://owni.fr/2010/09/06/pour-un-webdocumentaire-modeste/ http://owni.fr/2010/09/06/pour-un-webdocumentaire-modeste/#comments Mon, 06 Sep 2010 13:50:35 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=26824 «Un nouveau journalisme est déjà là» : sur son blog de l’AFP, Eric Scherer n’avait pas ménagé son enthousiasme pour la forme du webdocumentaire. Du «slow journalisme», par opposition à la tyrannie du flux et du temps réel, évidemment, ça ne peut pas faire de mal.

Pour autant, ce dithyrambe n’est-il pas exagéré ? Dans un précédent billet consacré au genre, on concluait que «le webdocumentaire est une mode, stimulante, qui permet de gérer une transition entre des formes de journalisme traditionnelles, un patchwork de sons, vidéos, photos, textes, documents, et une forme plus aboutie qui reste encore, à mon avis, à trouver.» (on adore se citer en parlant de soi à la troisième personne ;)

Isabelle Regnier, critique de cinéma au Monde, relève également ce que le projet a de trompeur: il contient une «fausse promesse de cinéma (…) : à l’idée de montage s’est substituée celle de présentation, ce qui est très exactement le contraire.»

Un homme de l’art, le documentariste Rémi Lainé (La Belle et Le Braqueur, L’Amour en France, Outreau, notre histoire…) assène une critique plus sévère : «Le documentaire n’a-t-il pas vocation à embarquer son auditoire dans une histoire, lui faire oublier le temps d’un film qu’il est devant un écran – télé ou ordinateur ? Sur le net, nous explique-t-on, il convient de “délinéariser” le récit. Si le net change notre mode de vie (évidence), il bouleverserait aussi notre façon de voir et de penser. Voire. Quel cinéaste (Welles ? Ford ?) disait d’un film que c’était d’abord un scénario, puis un scénario et enfin un scénario ? (…) Ce que l’on découvre (dans le webdocumentaire) reste très consensuel et l’invitation au clic n’y change rien. Jamais la forme ne débride le propos. La réflexion semble s’arrêter à l’habillage. Sur le fond, rien qui n’ait déjà été vu et revu à la télé. Et on se prend à rêver. Que le net, diffuseur universel et inspirateur de liberté, soit un refuge ou une force de proposition pour les films qui, refusant le conventionnel et contrariant le convenu, ne trouvent pas d’espace chez les diffuseurs traditionnels. Qu’émergent sur la Toile, des films qui fleurent le soufre et le scandale, des films qui décoiffent et apportent un souffle nouveau. Sur le sens des films, ce qu’ils racontent. La forme suivra. »

Voilà qui amène à réfléchir. La technique est au point et l’équipement informatique putatif des «spectateurs» (le haut-débit notamment) permet aujourd’hui à ce genre de se développer. La forme reste prisonnière d’une grammaire ancienne, se contentant des signes extérieurs du documentaire sans s’approprier et adapter les codes cinématographiques. La démarche de l’auteur – celui qui tient par la main son spectateur pour le mener de la première à la dernière image – est mise en réserve en faveur d’une «interactivité», d’une narration en rhyzome. D’un souci louable de mise au pouvoir du public qui est tout autant une abdication de cette responsabilité totale qui rend le documentariste comptable de tout, du succès comme du rejet. En substance, on dit ici à l’internaute: «si vous n’avez pas aimé, c’est que vous n’avez pas eu le talent de prendre le bon parcours».

Le webdocumentaire est parti d’un mauvais pied

À force de buzz, d’enthousiasme déraisonnable, à force d’ivresse de la nouveauté, le webdocumentaire est parti d’un mauvais pied. Peut-être faut-il le reprendre, modestement, faire des dossiers, des reportages, des enquêtes. Avoir avant tout quelque chose à dire et une idée de la façon de le dire. Reprendre ce que chaque média — images, sons, vidéos, animations, infographies, textes, documents, liens — peut apporter spécifiquement. Classer, ordonner, les agencer, scénariser minutieusement sans se laisser abuser par une forme flatteuse et une technique envahissante. Etre simplement modeste.

Bonus :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Table ronde de la SCAM, le 20 janvier 2010.

Émission de la revue Media, avril 2010.

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy

Image Creative Commons Marion Boucharlat

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Aides à la presse: un équilibre délicat http://owni.fr/2010/08/19/aides-a-la-presse-un-equilibre-delicat/ http://owni.fr/2010/08/19/aides-a-la-presse-un-equilibre-delicat/#comments Thu, 19 Aug 2010 14:30:59 +0000 Vincent Truffy http://owni.fr/?p=25289

Dans une tribune publiée mi-juillet par le très libéral Wall Street Journal, Lee Bollinger, président de l’université Columbia et auteur de A Free Press for a New Century (Oxford, 2010), plaide sans détour pour l’impensable : subventionner la presse.

Impensable parce que, selon la vulgate, le lecteur – et, partant, son vote pécuniaire – sauraient seuls décider de ce qui mérite d’être publié, et parce que ceux qui s’érigent en contre-pouvoir ne pourraient dépendre d’un pouvoir. C’est pourtant une toute autre histoire que raconte M. Bollinger : «Le journalisme américain n’est pas que le produit du libre marché, mais un système hybride d’entreprise privée et de soutien public», explique-t-il. La plupart des grandes infrastructures ont bénéficié du soutien fédéral ou des États et «dans les années 1960, notre réseau public de diffusion a été lancé avec des subventions publiques directes et avec la mission de produire un haut niveau de journalisme indépendant de la propagande et de la censure du gouvernement.»

900 millions de dollars économisés en impôts directs et taxes

De fait, comme l’a montré une étude de l’USC Annenberg, la presse papier américaine économise chaque année quelque 900 millions de dollars en impôts directs et taxes et les sites web bénéficient d’un crédit fiscal évalué globalement à 3 milliards de dollars, les aides postales couvrent plus de 10% des frais d’acheminement avec 288 millions de dollars en 2008 (contre près de 2 milliards en 1967, soit les 3/4 du coût d’alors). (source pdf : Public Policy & Funding the News, USC Annenberg, Université de Californie du Sud, janvier 2010.)

À titre de comparaison, en France, la TVA à 2,1% qui s’applique à la presse papier (contre 19,6% pour le régime général) représentait en 2008 un manque à gagner de 205 millions d’euros, les tarifs postaux préférentiels 550 millions (dont plus de la moitié à la charge de l’Etat) et l’ensemble des aides à la diffusion 665 millions annuels.

Même la presse allemande, exemple régulièrement cité parce qu’elle ne touche aucune aide directe (interdites par la Loi fondamentale), n’est taxée qu’à 7% contre 16% et le transport de la presse à un tarif «abordable» est garantie dans le cadre du service postal universel. Quant à la presse britannique, elle aussi privé de subventions publiques directes, elle est tout bonnement taxée à 0% (contre 17,5% pour les marchandises). (source pdf : les aides à la presse en Europe, in Rapport d’information (Sénat) sur le fonds d’aide à la modernisation de la presse, Paul Loridant, 2004.)

Il n’y a donc pas de presse sans subvention des pouvoirs publics. Mais il y a des façons de distribuer l’argent public qui rendent plus ou moins dépendant de l’aide. Cela n’empêche pas pour autant les journalistes de ces médias d’exercer leur mêtier, d’autant moins qu’ils ne sont pas les destinataires finaux de la subvention : une aide pour l’équipement d’une imprimerie aidera les fabricants de rotatives, une subvention pour une nouvelle formule bénéficiera aux agences qui l’imagineront et la mise en place d’un nouveau système éditorial enrichira les entreprises informatiques qui les conçoivent…

Même là où la presse gagne de l’argent, les États donnent d’une façon ou d’une autre un coup de pouce aux médias. Ceci pour éviter une consolidation des positions acquises par quelques journaux et permettre l’éclosion de nouveaux projets de presse au nom du pluralisme de l’information. Ce qui signifie que toute publication contribuant à ce pluralisme doit pouvoir bénéficier de ces aides sans que l’État ne se soucie du contenu.

Là est toute la question : comment juger de la pertinence de l’aide (telle publication contribue effectivement à l’information du public et à la formation de son jugement) sans se mêler de ligne éditoriale (c’est-à-dire refuser d’aider celui qui critique l’action publique) ? Comment se faire aider sans lier sa survie au sort de ceux qui octroient les subventions ?

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy, sur Mediapart.

Dans le cadre de notre dossier sur les subventions à la presse, vous pouvez retrouver l’interview de Philippe Jannet (PDG du Monde.fr) ainsi que notre article pointant le manque de contrôle de la part du fonds de modernisation.

Image CC Flickr : roboM8.

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