Une toywar à 4,5 milliards de dollars

Le 21 juillet 2010

Une armée de toysoldiers a fait plier un supermarché de jouets pour enfants qui s'était emparé du nom de domaine d'artistes suisses allemands. Une forme d'hacktivisme ludique.

Performance artistique, jeu vidéo en réseau, manifestation en ligne, la “toywar” fut probablement l’Å“uvre d’art la plus chère de l’histoire de l’humanité (estimée à 4,5 milliards de dollars). Mais personne n’avait vraiment, en France, raconté son histoire. Retour sur la “TOYWAR” (guerre du jouet, en français), qui fut autrement plus intelligente (et drôle) que les attaques DDoS lancées par les “Anonymous” en soutien à WikiLeaks.

La “TOY.army” ? Une armée de 1798 TOY.soldiers, joueurs en réseau (dont les avatars étaient des LEGO) lancés à l’assaut d’un supermarché américain de jouets pour enfants, eToys.com, par etoy.com, un collectif d’artistes suisses allemands.

300 articles de presse dans le monde entier, y compris dans les “grands” médias mainstream (New York Times, Washington Post, CNN, Le Monde, etc.).

Leur mission ? Faire plier le supermarché de jouets pour enfants, qui a fait main basse sur le nom de domaine des artistes suisses allemands. Plus fondamentalement, il s’agit aussi de défendre une certaine vision de la société de l’information, de la liberté d’expression, et donc de l’internet.

Deux conceptions s’opposent : d’un côté, une galerie marchande et virtuelle d’objets bien réels. De l’autre, un collectif d’artistes qui, pour faire monter le cours de ses actions virtuelles, organisent des performances en ligne.

En 1999, la bulle internet n’a pas encore explosé. Lorqu’etoys.com est introduit en bourse, en mai, son action vaut 19$. En novembre, elle est côtée 67$, et sa capitalisation boursière dépasse les 8 milliards de dollars.

Noël approche, et eToys.com perd chaque jour entre 20 et 300 000 visites au profit d’etoy.com. Le supermarché propose alors aux artistes de leur racheter leur nom de domaine pour 30 000$.

Devant leur refus, les enchères montent, à 75, 100 puis 516 000 $. Mais les artistes n’en ont cure, ce n’est pas une question d’argent : etoy.com existe depuis 1995, et tout ce qu’ils réclament, c’est davoir tout autant le droit qu’un supermarché de s’exprimer.

Les marchands portent dès lors plainte, aux Etats-Unis, pour “concurrence déloyale, atteinte au droit des marques, opération boursière illégale, contenu pornographique, comportement agressif et activités terroristes“. Et un juge ordonne, le 29 novembre 1999, la fermeture d’etoy.com, sous astreinte de 10 000$ d’amende par jour.

Dans la foulée, etoy lance sa toywar.com, invitant les internautes à l’aider à lutter contre cette soit-disant primauté des supermarchés sur le droit des artistes à la liberté d’expression. Extrait des règles du jeu :

“Votre équipe est composée de milliers de joueurs. Vos adversaires : eToys et ses actionnaires -aussi longtemps qu’ils posséderont (encore) des actions. Objectif : l’art, la liberté d’expression et la vie sur l’Internet.”

Les artistes et hacktivistes de RTMark.com lancent alors un fonds etoy pour centraliser cette guerre de l’information, coordonner les sites web engagés dans la toywar, inviter les salariés d’eToys à démissionner, ses actionnaires à désinvestir eToys et à céder leurs actions, entre autres opérations.

Le résultat ne se fit pas attendre : en l’espace de deux mois, le cours en bourse d’eToys.com chuta de 70%, pour s’établir à 15$, soit plus bas que son cours d’introduction, la toywar lui ayant fait perdre quelques 4,5 milliards de dollars de capitalisation :

En janvier de l’an 2000, le supermarché de jouets pour enfants retirait sa plainte. En février, le juge autorisait la remise en ligne d’etoy.com. En avril, l’action d’eToys ne valait plus que 7,5$. En 2008, eToys faisait faillite, et était racheté par son principal concurrent, Toys’R Us.

etoy.com, de son côté, se porte très bien. Sa propre action, lancée en 1994 et qui valait à l’époque 0$, en vaut aujourd’hui plus de 25.

Image de une CC Flickr Don Solo

Image en clé CC Flickr Mykl Roventine

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