Intégration et vivre ensemble, des pistes sur Twitter?

Le 3 novembre 2010

Après un an de tweets, RTs et autres DMs, David Abiker revient sur son expérience de Twitt-user. Au moment de s'inscrire sur le réseau de micro-blogging, il était loin de s'imaginer la socialisation presque naturelle que celui-ci induisait.

Il y a un an à peine, j’ai ouvert un compte Twitter. Un an après, j’ai changé. Je me souviens qu’au départ, j’étais arrivé méfiant et surtout persuadé que je twitterais à ma sauce et pas à la sauce de Twitter. Je dois faire ce constat que Twitter m’a socialisé. J’entends par là que je me suis plié implicitement à ses règles communes sans trop m’en apercevoir.

Mon cas personnel n’a d’intérêt que si je peux partager ce constat avec d’autres. Quand je parle de socialisation, je ne parle pas de la mise en relation qu’implique Twitter comme Facebook. Elle va de soi. Je parle de se conformer à des rites de passage, à des usages, à des règles culturelles, langagières qui font que la communauté fonctionne mieux avec que sans, qu’elle crée des signes de reconnaissance et qu’elle intègre peu à peu ceux qui en font partie.

#grandefamille, WTF?

Quelques exemples. En arrivant, je décidai par exemple de monologuer. Quelques mois plus tard, j’ai été happé par les conversations. En commençant, je pensai ignorer la notion de pollution de TL, quelques mois plus tard j’en tenais compte même si je pollue encore. En débutant, je m’étais juré de ne jamais utiliser de Smileys ;) J’ai renoncé sans m’en apercevoir. J’ai également appris en « marchant » les éléments de langage de Twitter que je ne connaissais pas. OMG, WTF, DTC, Price Less, DM, RT, etc. Ils se sont imposés à moi et j’y ai adhéré sans contrainte ni sentiment d’obligation. J’étais un étranger et peu à peu, en m’y conformant, je me suis senti peu à peu « comme faisant partie de la famille ».

J’ai aussi découvert en quoi Twitter proposait et organisait l’intégration des nouveaux entrants. Le Follow Friday ou le coup de pouce qui permet d’arrondir le nombre de ses followers sans oublier l’appel à la solidarité qui marche si bien lorsqu’il s’agit de diffuser un CV ou une petite annonce. J’ai bien entendu et grâce à une exposition médiatique privilégiée goûté et apprécié les signes extérieurs de richesse sur le réseau : nombre de RT, nombre de Followers, des unités de mesure qui n’existent que là sous cette forme.

Une micro-société

J’ai également observé comment se reconstituent sur Twitter des ligues dissoutes, des solidarités, des rites de passage, des clans bien identifiés. J’ai compris aussi que les codes de la vie réelle s’invitent sur le réseau comme ils s’invitent autour d’une table, bourgeoise, aristo ou prolétarienne. J’ai découvert aussi que Twitter n’est pas une société idéalement égalitaire. Elle a ses barons, ses influents, ses petits, ses moyens, ses hommes, ses femmes, ses fouteurs de merde, ses anars, ses avatars à triple entrée, et bien sûr ses boucs émissaires (cf. Lefebvre).

Ces rites de passage, d’initiation, d’intégration sont ceux d’une société. Une micro société, mais d’une société quand même. Évidemment, comme dans toute société, on ne part pas avec les mêmes chances, le même capital social, la même accumulation, mais tout de même. La nouveauté, l’enthousiasme, le sentiment de chacun de se trouver ici dans un Far Ouest ou tout est possible donne à ce petit continent des allures de terre promise. Il crée peut-être en chacun, c’est une intuition, un sentiment communautaire.

Une fois passé le sas technologique, chacun progresse à son rythme et découvre les charmes et les misères de cette vie en micro-société. Les égos s’épanouissent en même temps qu’une civilité nouvelle leur enseigne l’humilité. Même les conflits, même ce qui relève de l’incontrôlé ou de l’incontrôlable sont nommés, ce qui traduit la sophistication de cette vie groupée. Le Twitclash à cet égard montre que la communauté sait désigner et circonvenir les conflits. Et qu’elle sait aussi les juger.

Vivre ensemble, Twit-ensemble

Bref, il se passe sur Twitter quelque chose qui n’arrive pas sur Facebook, il me semble. L’apprentissage d’un langage, d’habitudes, de règles et d’un Twit-ensemble qui mériteraient l’examen plus approfondi d’un sociologue ou d’un anthropologue. Je vous conseille pour cela ce livre formidable et le blog qui va avec. L’examen a déjà commencé puisqu’il existe bon nombre de billets souvent pleins d’humour dessinant une typologie des usagers de Twitter, ce qui en soi, montre la vitesse à laquelle le réseau est capable de se penser lui-même et de s’analyser. C’est bien évidemment d’une toute petite société dont il est question, que dis-je d’un embryon qui ne mérite peut-être pas ce nom.

Mais tout de même, au moment où tant de questions se posent sur notre capacité à habiter et vivre dans le même espace, notre capacité à intégrer ceux qui nous sont étrangers, notre difficulté à nous parler ou à dialoguer, il y a peut-être, du côté de ces nouveaux rites de passage, d’interréaction, de partage et d’intégration sur Twitter une sorte d’illustration ou de métaphore pédagogique à méditer pour mieux vivre ensemble dans l’autre monde, je veux parler de celui où les saisons existent encore.

Photos Loguy pour OWNI et cc FlickR Adam Foster | Codefor, inju.

Article initialement publié sur la Toile de David Abiker.

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