[Carte Interactive] La Chine investit l’Europe
En pleine crise financière, les liquidités chinoises font craindre des vagues d'acquisitions en Europe. OWNI a recueilli et traité les données relatives à ces prises de contrôle de la Chine. Elles dessinent une stratégie réfléchie mais mesurée.
L’application interactive ci-dessus permet de visualiser l’essentiel des prises de participations réalisées par des investisseurs chinois en Europe
Châteauroux, paisible préfecture de l’Indre avec ses champs environnants, sa vieille base militaire agonisante, son pâté berrichon. Et son futur “Business District”. En ce moment, l’armée quitte les vieilles installations américaines datant des années 1950 et les Chinois s’apprêtent à s’y installer, amenant des centaines de millions d’euros dans leurs poches. Pour sa première base européenne, Pékin parie sur le Berry. À partir de 2012, un nouveau parc industriel de près de 850 hectares accueillera 40 entreprises chinoises pionnières spécialisées dans les hautes technologies et les énergies renouvelables. Avec, à la clé, la promesse de 3 200 emplois locaux.
Rachats de bons de dettes publiques, acquisition d’entreprises en difficulté, obtention de concessions portuaires, guerre des monnaies… Dans une Europe en crise, la Chine et ses montagnes de billets impressionnent toujours, effrayent parfois. Après avoir investi massivement en Afrique, la voilà qui se tourne vers les secteurs à haute valeur ajoutée du Vieux Continent. Son but: faire des industries émergentes la colonne vertébrale de sa croissance future.
Les investissements chinois doivent cependant être relativisés. Pour l’année 2009, ils représentaient à peine 0,4% du stock total des fameux Investissements directs à l’étranger (IDE) accueillis par l’Union Européenne.
Mais leur rythme de croissance donne le tournis. Relativement stables jusqu’en 2004, les investissements chinois ont été multipliés par treize en l’espace de six ans. Si aucune donnée européenne postérieure à 2009 n’est disponible, on peut toutefois avancer que leur croissance n’a fait que s’accélérer. Pour les seuls six premiers mois de l’année 2011, les acquisitions d’entreprises en Europe occidentale ont déjà été cinq fois plus importantes [en] que pour la totalité de l’année 2010.
Mesurer l’implication de la Chine en Europe s’avère un exercice délicat. Difficile de ne pas s’égarer dans cet enchevêtrement de flux financiers, d’autant plus que l’opacité règne dès lors qu’on en vient aux chiffres. Aucune base de données harmonisée n’existe sur le sujet. Pour cette application, OWNI s’est donc basé sur la somme des stocks d’IDE chinois (Hong-Kong inclus) dans l’Union Européenne ainsi qu’une recension, non-exhaustive, des principales acquisitions d’entreprises par des acteurs économiques chinois au cours de ces dernières années (jusqu’à août 2011). Malgré ses spécificités, Hong-Kong a été compris dans cette application car la majeure partie des capitaux chinois y transitent.
Cette démarche ne tient notamment pas compte des achats de bons de dettes publiques européennes qui ont tant défrayé la chronique ces derniers temps. Si la Chine publie le montant total de ses réserves de liquidités, elle en tient la composition détaillée secrète. Impossible donc de savoir à quels bons de Trésors elle a souscrit et dans quelles proportions. Un cadre de la Banque Centrale Européenne estimait récemment [en], sous couvert d’anonymat, les prêts de la Chine aux pays de l’Europe du Sud de l’ordre de 15 à 20 milliards d’euros (des “cacahuètes” selon lui). Si ces chiffres étaient confirmés, ils s’avéreraient bien plus faibles que les prévisions initiales.
Des technologies bien définies
Suivant la logique de l’histoire économique, la Chine entend passer d’une économie basée sur la production de biens bon marché à une économie de services reposant sur des secteurs à haute valeur ajoutée. À l’inverse de l’Afrique, le Vieux Continent ne présente pas d’attrayantes réserves de ressources naturelles susceptibles d’alimenter les phénoménaux besoins énergétiques chinois. Il possède, en revanche, des industries de pointe qui les intéressent fortement.
Il n’est pas anodin que les investissements en Europe aient décollé en 2005. Cette date marque le début d’une nouvelle stratégie à long terme pour la Chine. L’investissement à l’étranger dans des secteurs considérés comme stratégiques est fortement incité, voire aidé via des fonds publics et des avantages fiscaux. Charge aux plans quinquennaux de donner la ligne directrice des investissements. Le 11ème plan [en] (2005-2010) définissait ainsi pour la première fois les secteurs à viser : biotechnologies, équipement haut de gamme, technologies de l’information… Quant au 12ème plan quinquennal [en] (2010-2015), implémenté depuis le mois de mars, il esquisse les secteurs vers lesquels l’investissement chinois se dirigera dans les années à venir : technologie verte, énergies alternatives, véhicules propres…
Comme le montre le graphique ci-dessus, la répartition des investissements chinois en Europe reflète bien leurs priorités stratégiques, présentes et futures. Seul élément pouvant prêter à confusion : l’industrie minière. Cette disproportion s’explique par la coûteuse prise de participation ou de contrôle de grands groupes basés en Grande-Bretagne (Rio Tinto, Caledon Ressources…) afin d’accéder aux ressources minières du CommonWealth.
Investisseurs privés et publics
Une bonne partie des capitaux chinois provient de quelques gigantesques conglomérats (souvent proprement hong-kongais) à l’image du groupe Cheung Kong, propriété du milliardaire Li Ka Shing. De fabriquant de plastique dans les années 1950, l’entreprise a grandi au fil des décennies jusqu’à devenir une véritable multinationale aux large ramifications. À lui seul Cheung Kong, par le biais de sa filiale Cheung Kong Infrastructures Holdings Ltd, a ainsi investi près de douze milliards dans des entreprises européennes du domaine de l’énergie.
Autres acteurs majeurs de la Chineurope : les groupes publics de Chine continentale. Si les noms de China Development Bank, China Investment Corporation ou encore CITIC ne sont guère familiers aux oreilles occidentales, ils représentent pourtant le fer de lance de la stratégie des Chinois. Que ce soit dans la dispendieuse mais hautement symbolique prise de participation de la banque Barclays [en] ou dans un prêt de 7 milliards d’euros [en] destiné à la production de panneaux solaires en Europe, ils s’impliquent dans tous les secteurs stratégiques.
Mais le rôle de l’État chinois pourrait bien ne pas s’arrêter là : la structure de certaines entreprises “privées” est parfois fortement questionnée. En 2005, le géant des télécoms Huawei tente de racheter le groupe de téléphonie Marconi. Des rumeurs suggèrent alors publiquement des liens étroits entre le conglomérat et l’armée nationale chinoise (dont est issue le fondateur de l’entreprise). L’offre sera rejetée. En 2009, les États-Unis interdisent au groupe toute prise de contrôle de réseaux de communications sur leur territoire. Au même moment, l’Italie accueille Huawei à bras ouverts pour construire un réseau national de télécoms…
Face à la présence grandissante de la Chine, les pays européens se présentent une fois de plus divisés, incapables de décider d’une ligne de conduite à adopter. À l’heure où les instituts Confucius commencent à proliférer, où des nombres grandissants d’étudiants vont goûter l’expérience de l’Extrême Orient, la Chine double sa stratégie économique de premiers tâtonnements dans le domaine du soft power. Quelles que soient ses visées, la Chine pourrait bien avoir le dernier mot. Un haut dignitaire chinois résumait récemment la situation en ces termes crûs, sans appel:
Vous avez besoin de notre argent.
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Application réalisée par Marion Boucharlat au design, Valentin Squirelo au développement et Guénaël Pépin au traitement de données.
Illustrations: FlickR CC Gwenaël Piaser / Mathias M / Diogo Martins.
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