L’opération com d’Anonymous

Le 25 février 2012

La branche française du collectif informel Anonymous a décidé de prendre la parole, collectivement, en suivant un protocole strict. Pendant plusieurs heures vendredi soir, cinq médias ont assisté par canal de discussion interposé, à cette drôle de conférence de presse, qui révèle quelques paradoxes du mouvement.

Le protocole était défini plusieurs jours à l’avance. Sur un canal de discussion en temps réel sécurisé (un canal IRC) était réunis cinq journalistes et un coordinateur. Sur un autre canal, les Anonymous français. Le collectif informel de hackers a décidé de parler collectivement pour éviter les prises de paroles individuelles. L’idée de l’interview collective n’a pas fait consensus. Comment représenter la parole d’un collectif d’anonymes ? Vendredi soir, les Anonymous présents semblaient conscients des limites de l’exercice :

NOUS sommes anonymous, il n’y a pas de JE, et les personnes isolées qui acceptent des interviews seules, sont des erreurs, non pas de nous, mais du journaliste qui interviewe un imposteur. Par nature on ne peut pas représenter exactement une structure décentralisée, on ne peut en avoir qu’une idée générale, une tendance.

Début février, un mail est envoyé à un journaliste d’OWNI depuis une étonnante adresse sur yahoo.fr, un service pas vraiment réputé pour être très sécurisé. Contacts pris, il ne s’agit pas d’un faux, mais de l’adresse qu’utilise le fameux coordinateur. Lors du premier échange par téléphone, lundi 13 février, il raconte avoir découvert le collectif après l’affaire MégaUpload. Curieux, il est allé à la découverte du collectif en trainant sur les canaux de discussions. “L’attaché de presse des Anonymous”, comme il se décrit avant de partir dans un éclat de rire, a proposé d’aider les membres francophones à structurer leur prise de parole.

Ambiance policée

Vendredi soir, la parole était maîtrisée, les mots pesés, les formulations précises, l’ambiance policée. Les questions, posées sur le canal de discussion prévu pour les journalistes étaient relayées sur l’autre canal, celui des Anonymous, auquel les journalistes n’avaient pas accès. Cinq médias étaient invités : Le Mouv’, Le Parisien, France Info, la boite de production Code 5 Production, et OWNI.

Après un débat entre les participants – jusqu’à 130 hier soir – les réponses étaient synthétisées et mises en forme sur un pad, éditeur de texte en ligne collaboratif. La réponse transmise était celle qui recueillait le plus de voix, à l’issue d’un vote interne. Des réponses factuelles, forcément consensuelles et sélectionnées :

Nous faisons plus ou moins le travail que vous feriez si nous étions tous sur un chan [un canal de discussion en temps réel, NDLR], choisir parmi les réponses celles qui correspondent le mieux et à la question posée et à la pensée collective.

Interrogés sur la structure du mouvement depuis l’opération MegaUpload et l’arrivée massive de nouveaux pas très aguerris, les Anonymous décrivent les dispositifs mis en place, sans préciser ses répercussions sur le mouvement :

Nous avons ouvert spécialement un salon IRC (ou chan) pour accueillir les nouveaux arrivants, afin de pouvoir leur expliquer le fonctionnement des Anonymous et ses principes. Ils peuvent ainsi s’informer, dialoguer avec nous et participer s’ils le souhaitent. Ici par exemple, #opnewblood.fr fait office de porte d’entrée pour ces nouveaux arrivants, afin de les informer, et de répondre à leurs questions. Il y a aussi un site où nous rédigeons des tutoriels afin d’expliquer comment se sécuriser : www.anonopsfr.blogspot.com

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L’arrivée massive de membres après cette opération avait fait grincer des dents. Beaucoup ont déboulé sur les canaux de discussion, les IRC, sans grandes connaissances techniques. Ni sans savoir très précisément ce qu’était Anonymous, allant jusqu’à donner en privé ou en public un lien vers leur compte Facebook. D’autres ont voulu lancer une “opération chansons” qui en fait sursauter plus d’un, surtout parmi les anciens. Sans parler de l’idée d’une boutique de stickers Anonymous…

Les usurpateurs

La prise de parole de vendredi soir était aussi l’occasion pour le collectif de hackers de rappeler ses principes fondateurs et de clarifier ses positions sur des opérations passées et à venir. Les membres présents hier ont nié être en lien avec l’opération blitzkrieg qui visait les sites d’extrême droite, expliquant qu’ils ne pouvaient “maîtriser toutes les opérations ainsi que les groupes qui agissent au nom d”Anonymous’”. De même à propos d’opérations conduites par des “usurpateurs”, contre les médias ou les réseaux sociaux :

Ces actions étant contre nos principes fondamentaux, nous condamnons vigoureusement toute attaque menée à l’encontre des médias. Nous déplorons que quelques électrons libres aient agit au nom des Anonymous sans pour autant avoir pris le soin de valider leurs actions suivant notre processus démocratique. Nous déplorons vigoureusement ces écarts et mettons également en Å“uvre une partie de notre énergie à juguler ces erreurs que nous condamnons, encore une fois, vivement.

Mais c’est contre l’opération prévue 31 mars visant à paralyser le réseau dans l’ensemble, que les critiques sont les plus sévères :

Cette opération n’a aucune crédibilité, tout simplement parce qu’Anonymous n’a nullement l’intention de rendre indisponible un outil que nous utilisons au quotidien, et que nous défendons fermement. Mais aussi techniquement, le pad qui a été rendu public n’est pas du tout complet. (…) Cette soi-disant opération est techniquement irréalisable et reflète le triste niveau des gens qui l’ont annoncée.

Anonymous, chevalier blanc sur Internet, se bat avant tout “pour toute les libertés, contre les dictatures, contre la censure et les régimes totalitaires” ont-ils répété à plusieurs reprises, déclaration universelle des Droits humains et Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales à l’appui. Des valeurs qui les ont poussés à s’attaquer aux réseaux pédophiles, l’opération “darknet”. Aujourd’hui, ils précisent avoir tiré les leçons de cette expérience :

Il s’est avéré que [cette opération] n’a pas eu que des effets positifs sur l’enquête de police, rendant les preuves accumulées non recevables devant un tribunal. (…) Ainsi pensant bien faire, Anonymous a en fait “saboté” l’enquête de police, qui n’a pas suffisamment d’hommes sur la question, et a aussi mis les pédophiles en état d’alerte ceci les incitant à se sécuriser encore plus (Notamment via le Deepweb1, repaire des crados d’internet.) Nous ne participons plus à ce genre d’opérations à présent, et nous laissons la police faire son travail. Nous aimerions cependant que l’Etat concentre ses moyens afin que ce genre d’individus soient arrêtés plutôt que de légiférer des textes comme HADOPI ou LOPPSI.

“Se séparer de son image principale de hackers”

Les lois répressives contre les libertés numériques, Acta, Pipa, Sopa, Hadopi, concentrent leurs critiques. Si bien que certains sortent dans la rue manifester, une façon de “créer une passerelle entre le virtuel et le réel” disent-ils. Mais peut-être aussi le début d’un schisme au sein du collectif. Hier soir, ils affirmaient que “le mouvement gagnant en ampleur, celui-ci veut naturellement gagner en visibilité et se séparer de son image principale de hackers.”

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Une affirmation étonnante, mais dont la “conférence de presse” de vendredi soir était une démonstration flagrante. Exit le masque de Guy Fawks, les voix modifiées et les vidéos aux BO “angoissantes”. L’esprit foutraque du collectif, né sur le forum 4chan, une sorte d’immense défouloir d’Internet, serait-il en voie de disparition ? La réponse des Anonymous est pour le moins sérieuse, rappelant l’origine et la définition du mot “lulz”, dérivé de l’acronyme LOL. Avant de détailler la récente action contre le site de la CIA. “Des serveurs contenant des éléments pédophiles” ont été reprogrammés pour lancer une attaque coordonnée contre le site de la CIA. Une façon de montrer qu’il “ne devrait pas être très compliqué de débrancher [ces serveurs]“, comme le FBI l’avait fait pour MegaUpload.

Soudain, alors que la “phase de réflexion” sur la structure décentralisée du mouvement est en cours, un message inattendu s’affiche. Sur le canal de discussion utilisé pour répondre aux journalistes apparaît un lien : le schéma parodique d’un modèle d’organisation ultra-hiérarchisé. Un message ironique affiché par erreur sur ce canal policé. Puis à la question, “doit-on avoir peur de vous ?”, ils répondent: “Expect us”. Le lulz n’est jamais loin.


Photo par Jacob Davis/Flickr (CC-byncnd)

  1. Le “deepweb” ou web invisible est une partie du web accessible en ligne mais non-indexée dans les moteurs de recherche. []

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